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La
soumission à l’autorité…
une expérience sur l’obéissance [2/2]
Des variations introduites dans l'expérience ont produit des résultats
significativement différents :
- Si l'acteur/victime était isolé de manière que sa réaction ne pût être vue ni entendue du sujet, l'obéissance de celui-ci était bien plus grande.
- Si le sujet devait lui même serrer les sangles de la chaise électrique, et donc entrer plus en contact avec la « victime », le taux d'obéissance tombait à 30 %.
- Si un personnage non investi de l'autorité donnait les ordres, l'obéissance était nulle.
- Si le sujet accomplissait une tâche accessoire, sans qu'il eût à infliger personnellement les chocs électriques, l'obéissance était presque totale. A l'inverse, si le sujet faisait partie d'un groupe d'acteurs qui mettait en scène un plan soigneusement monté de se rebeller contre l'autorité, la vaste majorité des sujets (90 %) se joignaient à « leur » groupe et cessaient également d'obéir.
- Si le niveau des chocs à administrer était laissé à la totale discrétion du sujet, tous, sauf une poignée de sadiques, infligeaient le choc minimal. Lorsqu'ils ne se trouvaient pas sous la surveillance directe du scientifique, beaucoup de sujets «trichaient » en envoyant des chocs de moindre intensité prévu, même s'ils se montraient par ailleurs incapables d'affronter l'autorité et d'abandonner l'expérience.
On s’aperçoit ainsi que
plus le sujet est soumis à une hiérarchie, plus sa tâche
est « parcellisée », plus il se soumet à son autorité.
L’individu estime être engagé vis-à-vis de l’autorité
dirigeante, mais ne se sent pas responsable du contenu des actes que celle-ci
lui prescrit. Le sens moral ne disparaît pas, c’est son point de mire
qui est différent: le subordonné éprouve humiliation ou
fierté selon la façon dont il a accompli la tâche exigée
de lui. Le langage fournit de nombreux termes pour désigner ce type d’attitude:
loyauté, devoir, discipline…
Comment expliquer ce niveau
étonnamment élevé d'obéissance ?
Certaines forces ont modelé l’orientation fondamentale de l’individu
vis-à-vis de la société et préparé le terrain
de l’obéissance :
Les vingt premières années de la vie d’un individu se passent
à fonctionner en tant qu’élément subordonné dans
un système d’autorité (famille, l’école), quand il quitte
l’école il apprend que si l’expression discrète d’une certaine
divergence d’opinions est tolérée, une attitude implicite de soumission
est indispensable à l’harmonie des rapports avec les représentants
de l’autorité. Quelle que soit la liberté accessoire accordée
au subalterne, la situation a été définie de façon
telle qu’il doit nécessairement accomplir une tâche prescrite par
son supérieur. L'entrée apparemment volontaire dans un système
d'autorité « perçu » comme légitime produit
un sentiment fort d'obligation. Dans ses rapports avec l’autorité, l’individu
se trouve perpétuellement confronté avec une structure de récompenses:
si la rébellion entraîne le plus souvent un châtiment, la
docilité lui vaut généralement une faveur quelconque, comme
la promotion. Si elle est ressentie avec une profonde satisfaction par le bénéficiaire,
elle a pour principal mérite d’assurer la continuité de la hiérarchie.
Pour qu’un homme se sente responsable
de ses actes, il doit avoir conscience que son comportement lui a été
dicté par son « moi profond ». Dans la situation de laboratoire,
les sujets ont précisément un point de vue opposé : ils
imputent leurs actions à une autre personne. Ils ont souvent dit au cours
des expériences : « S’il ne s’en était tenu qu’à
moi, jamais je n’aurais administré de chocs à l’élève.
»
Considérons un individu qui, dans la vie quotidienne, est doux et bienveillant.
Même dans ses accès de colère, il ne se livre pas à
des voies de fait sur ceux qui l’ont irrité. S’il doit corriger un enfant
coupable de quelque sottise, il y répugne à tel point qu’il se
sent physiquement incapable de lui donner une gifle et il finit par y renoncer.
Pourtant, quand ce même homme est appelé sous les drapeaux et qu’il
reçoit l’ordre de bombarder des populations, il s’exécute. Cet
acte n’a pas pour origine son propre système de motivations, il n’est
donc pas réfréné par les forces inhibitrices de son psychisme
personnel. À mesure qu’il grandit, l’individu normal apprend à
refouler ses pulsions agressives. Mais la culture n’est pratiquement jamais
parvenue à lui inculquer l’habitude d’exercer un contrôle personnel
sur les actions prescrites par l’autorité. C’est la raison pour laquelle
cette dernière constitue un danger bien plus grave pour la survie de
l’espèce humaine.
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